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08/02/2013

Morceaux choisis - Rabindranath Tagore

Rabindranath Tagore

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N'as-tu pas entendu son pas silencieux? Il vient, vient, vient à jamais. A chaque moment, à chaque âge, à chaque jour, à chaque nuit, il vient, vient, vient à jamais. J'ai chanté plus d'un chant sur plus d'un monde, mais dont chaque note toujours proclamait: il vient, vient, vient à jamais. Dans les jours embaumés de l'avril ébloui, par le sentier de la forêt, il vient, vient, vient à jamais. Dans l'angoisse orageuse des nuits de juillet, sur le tonnant chariot des nuées, il vient, vient, vient à jamais. D'une peine à une autre peine, c'est son pas sur mon coeur qu'il oppresse; quand luit ma joie, c'est au toucher d'or de son pied.   

Rabindranath Tagore, L'offrande lyrique, dans: Daniel-Ange, Les feux du désert vol. 2 / Silences (Rémy Magermans, 1973)

image: michelpicard772.skyrock.com

07:48 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

07/02/2013

Morceaux choisis - Abdelwahab Meddeb

Abdelwahab Meddeb

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Blanche la ville
 
L'homme y vogue dans les airs
où qu'il soit il ne perd pas le ciel
et la mer toujours à la hauteur du patio
baignoire qui flotte entre les deux bleus
que les oiseaux seuls déchirent
deux trois coups d'ailes vous emportent
à l'éventail des pins
haies sur le profil des jardins
l'arche et le pont sont des corps
qui étendent des passerelles
entre les vivants et les morts
 
Je monte et je redescends
je remonte encore
j'aperçois l'ombre d'Aya
je la hèle la nuit sur l'autre trottoir
à chaque porte elle presse le pas
elle ne se retourne pas
ses talons résonnent et vibrent
au silence des lampadaires
miroir où j'entends frémir les palmes
 
Les arcs dansent à l'air de l'automne
sur la chaussée noire humectée de larmes
le choeur des pleureuses module son cri
elles forcent le thorax autour de la tombe 
pierre blanche coffre de terre
qui enferme le corps du rebelle
les paroles rassemblent ses restes
et les déportent vers l'adhésion posthume
 
Pour Aya j'ai exhumé un vieux poète
qui chantait l'ivresse
l'herbe ployait au pied de sa tombe
un cep avait cru
le poids des tibias avait écrasé les grappes
le sang de la vigne s'était mêlé à l'encre
au fond de la coupe j'ai trempé le doigt
j'ai inventé des ablutions
pour errer la nuit
je cours
les tempes battent
derrière la question
j'ai l'espoir de lever un voile
oh seulement un des mille voiles
qui couvrent la scène
où le maître ancien avait dit les mots
qui éclairent en un petit nombre de vers
 
Je les ai récités devant les pleureuses
à l'approche de la blancheur
dès qu'Aya se change en oiseau
survolant l'enceinte
entre les coupoles et les tombes
les femmes lèvent leurs bras hors du voile
l'olive entre les doigts
elles sèment des graines de chènevis
sous les rides du grès entre les deux stèles
 
Elle quitte le kiosque le jardin des morts
je marche emmêlé à ses ombres
je m'étonne des humains divisés
désoeuvrés
dans le quartier des berges
 
Je dis à Aya
je vois en une même race
deux peuples parlant deux langues
fabulant deux coupes de costumes
astiquant des signes qui divergent
 
Où sont les passages
comment traverser
entre l'une et l'autre moitiés
le gouffre sera comblé par le fracas des os
jetés selon le calcul de la cruauté
qui traque la portée des cadavres
carcasses de fer-blanc tordu
les crânes seront les pavés des ponts
l'autre peuple est chassé de vos cènes
 
Le gardien de la nuit me prévient
aucune table commune sera dressée
ne rôdez pas près de la rade
sous les arcades
il y a ceux qui mordent
tatouant au sang la chair de la joue
les deux peuples
n'orientent pas leurs oreilles
vers les sons qui déclinent
les lettres d'un même alphabet
 
Chacun cache un couteau sous le matelas
les ères se succèdent les fins se suivent
les trappes s'ouvrent
ils figent le passé
sans prendre le temps de découvrir
qu'ils disparaissent
maîtres et serfs
les pasteurs occupent la ville
bâtie par des pères
dont les enfants étaient partis
 
Leur don échoue sur les récifs
les formes chantent la gloire du lieu
les ciseaux avaient taillé dans la barrière
une tunique parée de lettres et de pierres
le linge flotte sur les balcons
le sang de la bête immolée est avalé
par la bonde des éviers
 
Les murs tremblent les ongles creusent
peintures et crépis s'effritent
le prurit atteint la chair du bâti
 

Abdelwahab Meddeb, Blanche la ville / Tunisie dans: Eglal Errera, Les poètes de la Méditerranée - Anthologie (coll. Poésie/Gallimard, 2010)

18:47 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

01/02/2013

Lire les classiques - François-René de Chateaubriand

François-René de Chateaubriand

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Le temps m'appelle: il faut finir ces vers. 
A ce penser défaillit mon courage. 
Je vous salue, ô vallons que je perds! 
Ecoutez-moi: c'est mon dernier hommage. 
Loin, loin d'ici, sur la terre égaré, 
Je vais traîner une importune vie; 
Mais quelque part que j'habite ignoré, 
Ne craignez point qu'un ami vous oublie. 
Oui, j'aimerai ce rivage enchanteur, 
Ces monts déserts qui remplissaient mon coeur 
Et de silence et de mélancolie; 
Surtout ces bois chers à ma rêverie, 
Où je voyais, de buisson en buisson, 
Voler sans bruit un couple solitaire, 
Dont j'entendais, sous l'orme héréditaire,
Seul, attendri, la dernière chanson. 
Simples oiseaux, retiendrez-vous la mienne? 
Parmi ces bois, ah! qu'il vous en souvienne. 
En te quittant je chante tes attraits, 
Bord adoré! De ton maître fidèle 
Si les talents égalaient les regrets, 
Ces derniers vers n'auraient point de modèle. 
Mais aux pinceaux de la nature épris, 
La gloire échappe et n'en est point le prix.
Ma muse est simple, et rougissante et nue; 
Je dois mourir ainsi que l'humble fleur 
Qui passe à l'ombre, et seulement connue 
De ces ruisseaux qui faisaient son bonheur.

François-René de Chateaubriand, Tableaux de la nature, dans: Pierre Dauzier et Paul Lombard, Poètes délaissés - Anthologie (coll. La petite Vermillon/Table Ronde, 1999)

image: La maison de Chateaubriand, par Serge Mouraret / Châtenay-Malabry, France (jne-asso.org)

06:42 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

29/01/2013

Morceaux choisis - Albertine Sarrazin

Albertine Sarrazin

Albertine Sarrazin.jpg

O jongleur de paradis
Revenu en purgatoire
Avec les yeux étourdis
Quelle magicienne histoire
Est l'amour que tu prédis
 
L'illusion avec l'année
Revient aux quatre printemps
La neige s'en est allée
Et sûr j'en ferais autant
 
Bel amour qui saintement
Pour que la nuit rste belle
Au coeur de chaque tourment
Jette une étoile rebelle
Et l'éveille talisman
 
L'illusion avec l'année
Revient aux quatre printemps
La neige s'en est allée
Et sûr j'en ferais autant
 

Albertine Sarrazin, Lettres et poèmes (coll. Livre de poche/LGF, 1971)

24/01/2013

Morceaux choisis - Josyane de Jesus-Bergey

Josyane de Jesus-Bergey

Blue Nude.jpg

L'émigrée,
 
Je suis celle qui vient de l'autre pays
partagée entre le père
et l'enfance.
 
Je me sais sans terre ni ciel
n'appartenant qu'à l'instant
qui me voit vivre.
 
Venue d'ailleurs
jamais au bon moment
jamais au bon endroit
 
Toujours étrangère
 
avec quelque chose de moins
avec quelque chose de plus
 
Jamais d'accord
 
Mais fière d'être.
 

Josyane de Jesus-Bergey, L'émigrée, dans: Pas d'ici, pas d'ailleurs - Anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines / présentation et choix: Sabine Huynh, Andrée Lacelle, Angèle Paoli, Aurélie Tourniaire / préface: Déborah Heissler (Voix d'Encre, 2012) 

image: Henri Matisse, Nu bleu (habit-of-art.blogspot.com)

07:32 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/01/2013

Morceaux choisis - Henri Pichette

Henri Pichette

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La
légère
candide
capricieuse
tourbillonnante
ouatée
poudreuse
neige dont j'aime
la
lente lente chute
 
Par un jour de grisaille aux vapeurs violâtres
ou quelques fois même (je l'ai vu)
par un ciel terre de Sienne
elle
papillonne blanc,
plus blanc que les piérides blanches
qui volettent en avril
comme fiévreusement, 
à moins que ce ne soit frileusement
autour
de roses
couleur d'âtre
 
Météore
qui touche ma manche
de ratine, y posant des cristaux à six branches
sous mes yeux d'étincelles
 
Pluie
de
plumes
de
mouettes
muettes
 
Recouvrant la plaine déshéritée
emmantelant la forêt squelettique
 
Epaisse, assoupissante et ensevelissante
 
Blanche telle
une belle absence de parole
 
Blanche autant qu'absolue
dans un silence d'oeil
qui rêve l'éternité blanche
 
Neige neigée
tellement soleillée
que d'un blanc aveuglant,
et brûlante!
 
Neiges de Harfang aux iris jaune d'or
et ventre blanc pur de la Panthère des neiges
 
De quel oiseau fléché fuyant à travers ciel
ce pointillé de sang sur la neige vierge?
 
Regardez, par delà
cette grille givrée
d'innocentes hermines
dorment tout de leur long
sur les bras des croix
 
Alors qu'à l'intérieur l'enfant
le front appuyé à la vitre
pour jouer
fait de la buée,
dehors chaque flocon
éclate une petite larme
qui roule
en bas
du carreau
où le mastic est vieux comme la maison
 
Et
tout là-bas
(à l'heure de mon coeur qui bat tout bas)
quelqu'un
contemple
la rencontre de la neige
floconneuse, innombrable
avec la mer
formidable, comme
de plomb,
glauque
 

Henri Pichette, Ode à la neige, dans: Odes à chacun, suivi de: Tombeau de Gérard Philipe (coll. Poésie/Gallimard, 2009)

image: Le port de Brest (lilasjade.centerblog.net)

05:04 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

13/01/2013

Morceaux choisis - Georges Perros

Georges Perros

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Dans la brousse de l’âme
Sur les pistes du cœur,
Dans la forêt des sens
Plus obscure que l’autre
Dans sa bruyante et clandestine
Multitude sauvage
A travers les images
Qui prennent l’air du rien
Quand il vente très haut
Dans le ciel du grand vide,
Prends ton sac, droit le dos,
Marche et rêve au pas vif
De qui n’est jamais las
D’aller où ne vont plus
Que quelques chers fantômes
Nous leur devons la vie
Nous doivent-ils leur mort
La parole s’éteint
Au rythme des relais
On se passe un témoin
Qui détient le secret
Au dernier homme de l’ouvrir
Quand plus personne devant lui
Pour délivrer le lourd message
Dont nous bégayons entre nous
Les aveuglantes évidences.
Les grecs en suçaient les deux bouts.
 

Georges Perros, Pour ainsi dire, dans: Collectif, Avec Georges Perros (coll. Encres/Recherches Exit, 1980) 

Image : Maison de Georges Perros (fr.wikipedia.org)

17:45 Écrit par Claude Amstutz dans Georges Perros, Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

11/01/2013

Morceaux choisis - Umberto Saba

Umberto Saba

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Mots,
Où le cœur de l’homme se reflétait
Nu et surpris – aux origines;
Je cherche au monde un coin perdu,
L’oasis propice à vous laver par mes pleurs
Du mensonge qui vous aveugle.
Alors fondrait aussi la masse des souvenirs effrayants,
comme neige au soleil.
 

Umberto Saba, Mots, dans: Anthologie bilingue de la poésie italienne (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1994)

traduit de l'italien par Philippe Renard

05/01/2013

Morceaux choisis - Friedrich Hölderlin

Friedrich Hölderlin

littérature; poésie; anthologie; livres

Il descend, le jour nouveau, de lointaines hauteurs,
Le matin qui s'est éveillé des crépuscules,
Il rit à l'humanité, paré et vif,
L'humanité est tendrement pénétrée de joie.

Une vie nouvelle veut à l'avenir se dévoiler,
On voit de bourgeons, signe de jours gais,
Se remplir la grande vallée, la terre,
Tandis que pour le printemps est chassée la plainte.
 

Friedrich Hölderlin, Derniers poèmes (William Blake and Co, 2011)

traduit de l'allemand par Jean-Pierre Burgart

00:10 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

30/12/2012

Morceaux choisis - Jocelyne François

Jocelyne François

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Le vent est tombé. Il reste seulement derrière la vitre froide le mouvement retenu du ciel. La nuit approche la colline, désarme la maison.

Je sais que l'ombre du cyprès que j'ai touché tout à l'heure tournera lentement avec la lune, et que le sol autour d'elle, libre comme un désert, deviendra cadran lunaire et mesure du temps durant notre sommeil. Le vent est tombé. Les oiseaux ne chantent pas encore le soir. La terre navigue et je la regarde. Je me regarde embarquée dans ce voyage que je n'ai pas choisi et que je me suis prise à aimer au point de le confondre avec mon corps, au point de le désirer éternel. Ah! l'éternité ne serait pas ce trou si nous y pouvions emporter cette frange sur les collines que lève la lune ou le soleil. Cette frange, au moins comme repère dans ce temps qui en aura fini de s'écouler. Autour de cette lumière pourrait s'inventer une vie sans gestes.

Ainsi sommes-nous autour des feux allumés sur les plages, perdus entre les dunes, le ciel et la mer, sans pensée et presque sans désir, occupés par le silence, le poids d'un vêtement, une braise qui roule, le sens du vent, accordant nos places à la fumée, attendant.

Alors nos feux pourraient s'élargir en cette lumière qui cesserait d'être abrupte et fugitive, qui s'établirait entre nous.

Le vent est tombé. C'est l'heure où il faut sortir, faire crisser le gravier, descendre les calades et remonter sur le plateau calcaire. Marcher. C'est l'heure où tout est à voir autrement, où nos mesures sont à prendre. En ce moment vide de la nuit, je tiens ma vie, je tiens ma mort, je tiens mon amour. Chaque scorpion tassé sous la pierre en tient autant. La terre navigue, je crois que je marche.

 Jocelyne François,  Le vent est tombé, dans: Signes d'air (Mercure de France, 1982)

image: Les Baux-de-Provence (jaipurdivabijoux.eu)